Témoignage : comment la gratitude peut changer les enfants

témoignage : la gratitude avec les enfants

Un article bien particulier, et une première, car il s’agit d’une interview ! Aujourd’hui, nous recevons Nathalie, professeur des écoles, qui a bien voulu nous transmettre son expérience avec ses élèves, sur la gratitude, ainsi que son approche personnelle.

La gratitude avec les enfants : le témoignage de Nathalie.

Sur le bon chemin : Nathalie, qu’est-ce qui t’a amenée à parler de gratitude avec tes élèves ?
Nathalie : en classe, avant, je mettais des tableaux de comportement. Ça ne me plaisait pas. Ce qu’il faut, c’est récompenser les élèves, les féliciter. J’ai commencé à faire des phrases en permanence :« les premiers enfants qui sont assis, je vous félicite, vous êtes tout de suite venus vous assoir. Bravo à ceux qui sont prêts », donc vraiment dans la félicitation et l’encouragement. 
Sur le bon chemin : au départ, c’était donc pour les encourager ?
Nathalie : et les féliciter !  « Je te félicite, voilà, je suis fier de toi, tu as fait ça ». Ce que je voulais, c’est qu’ils se décentrent d’eux-mêmes. Qu’ils apprennent, eux aussi, à remercier, féliciter parce que, en fait, les parents passent le temps à les féliciter ! « Ton dessin est beau ». Mais eux, est-ce que de temps en temps, ils félicitent leurs parents, leurs proches ? Chaque vendredi, nous faisons « le bilan du vendredi ». La première fois, je leur propose, je leur dis, est-ce que déjà, vous avez dit maman, « le repas que tu as préparé est très bon ». « Je te remercie d’avoir préparé mon vélo pour qu’on puisse aller se promener”.
Sur le bon chemin :  tous les vendredis ?
Nathalie : tous les vendredis, c’est la pratique ! Une fois qu’on a préparé notre cartable, qu’on est vraiment prêt mentalement, on n’a plus rien à penser. D’habitude en regroupement, ils sont face à moi. Et là, on se met en cercle, tout le monde se voit. Ensuite, je demande qui veut commencer par faire les remerciements, et donc la phrase est :  » aujourd’hui, je voudrais remercier … » Généralement au début, ce sont leurs camarades de la récréation parce qu’ils n’ont pas d’idées. Donc tout le monde va commencer à remercier son camarade. Et puis, on fait un 2ᵉ tour, il y a quelqu’un qui va dire :« Ben moi, je voudrais remercier untel parce que je suis tombé dans la cour et il m’a accompagné pour me faire soigner », il y en a un autre qui rebondit. « Ah bah moi aussi, quand je suis tombé … » Et petit à petit au fil de l’année, on remercie de plus en plus ses camarades. 
Sur le bon chemin : as-tu observé une évolution dans la façon de remercier, maintenant que tu as mis cela en place, depuis un certain moment ?
Nathalie : Oui, maintenant, on remercie aussi parfois le chef à la cantine parce qu’on a mangé un bon repas. Parfois, il remercie mon ATSEM (assistant de l’enseignant)  ou moi-même parce qu’ils ont aimé les activités qu’on a proposées. On a fait de la peinture, on a fait une sortie. Au début, ils étaient dans un horizon de temps limité, c’est-à-dire qu’ils n’arrivaient pas à se projeter plus loin que la demi-journée dans les remerciements. 
Sur le bon chemin : et maintenant ?
Nathalie : Maintenant, je leur demande de me trouver des remerciements, pas spécialement pour aujourd’hui, mais sur la semaine écoulée. C’est très difficile pour des enfants de cinq ans, de leur demander ce qu’ils ont aimé de la semaine passée.
Sur le bon chemin : et s’ils n’y arrivent pas ?
Nathalie : ce n’est pas grave.  Lors du premier tour de prise de parole, certains enfants, disent : « moi, je n’ai pas d’idées ». Je leur dis alors  « OK, passe, on passe son tour, on va faire le tour de tout le monde et on va revenir à toi ». Ensuite, je lui dis : « cherche ». Il me répond :  « je n’ai toujours pas d’idée ».  « Pas de souci». J’interroge ceux qui n’avaient pas donné d’idées. Puis, d’un seul coup, un enfant lève la main et dit : « ah bah ça y est, j’ai une idée  ! ». Parce que en réalité ça fait écho. Que tu copies ce que dit l’autre, je ne trouve pas cela gênant ! Le but, c’est de s’inscrire dans la démarche, accepter de parler à voix haute, accepter de dire : « je remercie quelqu’un, je voudrais que…”
Sur le bon chemin : du coup, tu as anticipé mon autre question…
Nathalie : Ah, mince !? (Rires !)
Sur le bon chemin : alors, qu’en retiennent-ils ?
Nathalie : Comme je te le disais, au début, c’est vraiment un exercice difficile pour eux. Ils sont dans l’immédiateté. Et donc, c’est apprendre à voir un peu plus loin que la journée.
Sur le bon chemin : quelles différences, vois-tu aujourd’hui ? 
Nathalie : ce que j’ai vu de différent, c’est quand quelqu’un tombe, un autre va tout de suite se proposer pour l’emmener se faire soigner. Aussi, je mets en place un outil système qui s’appelle « les jokers », qui sont toutes les actions gratuites. Quand tu vois un objet par terre, tu le ramasses. Tu es passé trois fois devant, tu peux le ramasser dès la première fois. Très vite, j’ai trouvé des gommes rangées dans la boite des objets perdus. Au départ, quand tu mets ça en place, tout le monde va ramasser tout ce qui traîne par terre, mais ce n’est pas grave. Là, je vous félicite, je vous remercie, mais il n’y aura pas toujours des jokers !  Cela leur sert à apprendre à faire des choses sans vouloir avoir un merci ou un joker !
Sur le bon chemin : cela veut dire qu’ils font quelque chose sans vouloir une reconnaissance de ta part ? 
Nathalie : si, ils viennent quand même me le dire parce qu’ils en ont besoin. Parce que ce n’est pas habituel pour un enfant de faire des gestes d’adultes, mais ça s’arrête là. Ils ne me disent pas, « tu ne me donnes pas de joker ? ». J’ai remarqué qu’ils deviennent de plus en plus aidants et qu’ils arrivent à se soutenir un peu plus dans la journée. J’ai aussi mis en place, quelque chose qui ça s’appelle « la quête de la vérité ». 
Sur le bon chemin : la quête de la vérité ?
Nathalie : tu connais les accords toltèques  (1) ?  
Sur le bon chemin : oui, de mémoire…
Nathalie : un copain passe devant moi, c’était mon super copain. Aujourd’hui. Il me fait une tête de quatre pieds. Je ne me dis pas : « mince, je n’ai pas partagé mon goûter avec lui, c’est pour ça que ça ne va pas ». Et, bien, je vais le voir, « je trouve que je trouve que tu as l’air triste ce matin. Qu’est-ce que tu as ?”
Sur le bon chemin : c’est donc le troisième accord : ne fais pas de supposition ?
Nathalie : oui, c’est ça, on a mis ça en place et ça, c’est pareil. Je les remercie pour ça également. Quand ils sont en récréation, si un enfant est seul, si un enfant est triste, je leur dis : « je veux que vous alliez voir cet enfant, et lui demander ce qui lui arrive. »  

 

Il revient et me dit :  » Je suis allé faire la quête de la vérité. Je pourrais aller chercher un joker ? ». Je leur dis : « attention, à un moment donné, il n’y en aura plus », et en fait cela devient automatique. Ce n’est pas inculqué à la maison. Si ce n’est pas expliqué à la maison, ça ne peut pas être spontané. Par conséquent, il faut tolérer qu’au départ, on met en place quelque-chose avec une récompense.
Sur le bon chemin : vraiment impressionnant ce cheminement. Par ailleurs, j’ai envie de te poser une question plus personnelle. À savoir pour toi, quelle définition as-tu de la gratitude ? Comment l’exprimes-tu dans ton quotidien, dans ta vie personnelle ? Dans quel domaine ? Vis-à-vis des autres, des opportunités de la vie, de la nature…?
Nathalie : alors au départ, je dirais que c’était pédagogique vis-à-vis de mon fils Clément. On partait en voiture le matin pour aller à l’école. On roulait face au soleil. Je lui disais d’observer la beauté de la nature.
Sur le bon chemin : c’est important pour toi la nature ?
Nathalie : C’est vrai que j’admire énormément la nature. Je sais. Je trouve qu’observer la nature, avoir un émerveillement de la nature. C’est quelque part déjà une gratitude d’avoir cette chance de l’avoir, et de la voir. Et donc je disais Clément ; « apprends à observer autour de toi, apprends à voir les choses ». Maintenant, je le vois, il met des posts sur Instagram avec juste le mot « merci »… 
Sur le bon chemin : et pour toi maintenant, que t’apporte la gratitude  ?
Nathalie : les journées peuvent parfois être fades, la gratitude, ça embellit ! Ça embellit. Oui, c’est ça, je dirai que ça embellit le quotidien. 
Sur le bon chemin : c’est déjà un gros sacré plus ! Est-ce que d’autres choses te viennent en tête ?
Nathalie : si quelqu’un fait quelque chose pour moi, j’ai toujours su dire merci. Quelqu’un vient m’aider à faire des travaux. Je ne considère pas que c’est un acquis, car cette personne, elle a pris du temps. Tu vois, plusieurs fois, on a fait des travaux dans l’appartement. La personne dit souvent « mais arrête de me dire merci». Je lui ai alors répondu :« mais tu ne te rends pas compte, tu as pris sur ton temps. Tu es venu pendant ce temps-là, tu n’étais pas avec ta compagne, tu étais ici à la maison. Et, ça a pris 10 jours !”
Sur le bon chemin : c’est une forme de reconnaissance, vu que l’autre a passé du temps pour quelque chose qui était important pour toi ?
Nathalie : oui, c’est ça, quelqu’un est venu une fois m’aider à organiser la classe. Je l’avais remerciée. Elle m’avait répondu en me disant « merci à toi, pour ta gratitude ! »
Sur le bon chemin : mais c’est incroyable, ça !  Comme si les bonnes ondes se transmettaient, exactement comme le décrivait Pascal Ide, que je citais quand j’ai écrit l’article sur la pratique de la gratitude : nous recevons un don, ce don nous apporte une joie, et ce même don pousse à donner en retour…  
Nathalie : oui, et j’ai encore un autre exemple. J’invite régulièrement les parents d’élèves à venir voir le travail dans la classe. J’ai déjà fait 11 personnes, j’ai eu une seule personne qui m’a écrit un mot en exprimant ce qu’elle a ressenti, le fait d’avoir été acceptée dans la classe et pour ce qu’elle a vu. À son mail de remerciement, je lui ai écrit ceci : « c’est moi qui vous dit merci. Merci d’être venu. Et quand vous partez de la classe et que vous me dites merci, c’est une chose. Mais quand vous avez pris le temps de m’écrire un mot, ça n’a rien à voir ! ».

les gratitudes sont des soleils dans ta vie
"Les gratitudes sont des soleils dans ta journée !"


Sur le bon chemin : alors la gratitude, stop ou encore ?
Nathalie : eh bien, on va dire encore ! Pour moi, c’est une reconnaissance. Que ce soit moi qui la donne ou moi qui la reçois. En plus, on est dans une société tellement égoïste, que les gratitudes sont des soleils dans ta journée. C’est vraiment un soleil dans la journée, tu peux avoir passé une journée nulle, mais à un moment donné, on vient te dire :« Tu sais, je te remercie vraiment parce que tu m’as pris la classe ce matin et j’étais débordé ». Et là, ta journée change de couleur ! 
Sur le bon chemin : ah oui, je n’avais pas vu la gratitude sous un tel angle : elle est un soleil dans ta vie…
Nathalie : je voulais aussi revenir sur le fait de pratiquer la gratitude trois fois par jour, comme j’avais découvert le livre 3 kifs par jour (2). Au début, j‘ai trouvé ça très bien. Mais rapidement, j’ai ressenti de la frustration !
Sur le bon chemin : exactement comme moi ! C’est ce à quoi je faisais référence quand je parlais des « pièges » dans l’article…
Nathalie : il me vient d’autres choses sur la gratitude. Je dis que la magie opère quand la gratitude est auto personnelle, 
Sur le bon chemin : c’est-à-dire ? 
Nathalie : auto personnelle et surtout pour la femme. En tant que femme, on a des clichés sociétaux qui font que de toute façon, on ne se trouvera jamais à la hauteur. Et si un jour, tu trouves bien dans cette jupe, et bien tu ‘as le droit de te le dire. C’est un auto-remerciement c’est. Oui, c’est ça
Sur le bon chemin : un dernier mot, conseil pour nos lecteurs ?
Nathalie : oui, la gratitude est dans tous les aspects de la vie. Envers soi-même, savoir se remercier pour ne pas avoir de jugement négatif sur soi-même. Apprendre à être positive vis-à-vis de soi-même, envers ses proches. Quand on vit avec une personne, c’est important. Si on ne partage rien, ça ne peut pas durer. Et on a besoin de la gratitude pour avancer dans son environnement personnel et professionnel. Voilà !
Sur le bon chemin : merci à toi, Nathalie pour ce très beau partage.

Références citées :

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4 réflexions sur “Témoignage : comment la gratitude peut changer les enfants”

  1. Merci pour cet article qui est, effectivement comme un rayon de soleil à la lecture.
    Merci à Nathalie d’intégrer ces pratiques dans le quotidien des jeunes enfants pour qu’ils deviennent des adultes de demain attentifs aux autres et à eux-mêmes. C’est comme ça qu’on progresse, qu’on s’améliore, quand s’apaise et qu’on les rapports humains, que le monde devient meilleur. Oui, j’y crois.

    Beaucoup de plaisir à vous lire Nathalie.
    Merci Christophe pour cette interview.

    1. Merci Joelle pour ce très beau commentaire.
      J’ai eu beaucoup de plaisir, de découvertes, de surprises à travers cet interview.

      Prends bien soin de toi, Joelle.
      Christophe

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